Le règne de Tiësto sur la Trance
Dans les années 1990 et jusqu’à la fin des années 2000, Tiësto était l’une des principales vedettes de la Trance, incarnant toute la grandeur et la magie de ce genre musical. À travers des séries légendaires comme “In Search Of Sunrise” et “Magik”, il a offert une vision unique de la Trance et marqué des générations. Ses albums “In My Memory” (2001), “Just Be” (2004), et “Elements Of Life” (2007) sont aussi des références absolues, gravés à jamais dans l’histoire du genre. Parmi ses titres emblématiques, on retrouve “Adagio For Strings”, “Traffic”, “Lethal Industry”, ainsi que son remix inoubliable de “Silence”. Encore aujourd’hui, ses classiques résonnent dans les sets de nombreux DJs.
Déjà adulé par des millions de fans, il s’est produit sur les plus grandes scènes mondiales, notamment lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’Athènes en 2004. Il a révolutionné le statut des DJs en devenant le premier à donner un concert solo devant plus de 25 000 personnes lors de ses “Tiësto In Concert”. Ces spectacles grandioses ont repoussé les limites de ce qu’un événement de musique électronique pouvait offrir. Avec ses lives intenses, remplis d’énergie et d’émotions, il était capable de transporter littéralement les foules.
Ses exploits ont propulsé la Trance à une reconnaissance mondiale sans précédent. Pour beaucoup, Tiësto était la personnification même de la Trance, souvent surnommé ‘The King of Trance’ par ses admirateurs.
2009 : Un virage déroutant pour les fans
Peu avant l’été 2009, c’est la stupeur chez les fans de Tiësto. À leur grand désarroi, leur artiste favori commence à jouer des morceaux qu’ils n’auraient jamais imaginé entendre dans ses sets. Et plus les semaines passent, plus l’inquiétude grandit. Une nouvelle facette de Tiësto émerge alors qu’il prépare son nouvel album “Kaleidoscope”, prévu pour l’automne 2009.
À mesure que la sortie de l’album se profile, la Trance disparaît de ses lives. Ses nouveaux singles et remixes adoptent eux aussi des rythmes électro vrombissants, minimalistes, et dénués de l’émotion qui caractérisait ses débuts. Sa collaboration “Feel It” avec Three 6 Mafia, Sean Kingston et Flo-Rida devient le symbole de ce changement radical que beaucoup de ses fidèles peinent à comprendre. La rupture est brutale. Tiësto adopte même une attitude plus provocante, allant jusqu’à lancer “Hey, I’m Tiësto, b**ch!” en plein concert.
Avec “Kaleidoscope”, sorti en octobre 2009, Tiësto acte officiellement son changement de cap musical. L’album traduit un désir d’innovation, mais il rompt aussi radicalement avec les bases qui avaient fait son succès. Seule maigre consolation pour ses fans de la première heure : les shows de la tournée “Kaleidoscope World Tour” incluent encore une partie consacrée à son répertoire Trance. Mais cette lueur d’espoir n’ira pas au-delà de 2010. Les amateurs de Trance doivent alors faire leur deuil de ce Tiësto qu’ils avaient tant aimé.
Pourquoi Tiësto a changé de cap ?
Mais alors, pourquoi un changement aussi radical ? Avec le recul, plus de 15 ans après son virage musical, les nombreuses interviews de Tiësto permettent de mieux comprendre cette décision. Voici un tour d’horizon de ses motivations.
1. Une quête de nouveauté et d’évolution
Avec la sortie de son album “Kaleidoscope”, Tiësto a exprimé son besoin d’explorer de nouveaux horizons et de collaborer avec des stars planétaires telles que Nelly Furtado, une démarche difficilement envisageable avec son image d’artiste Trance.
Lors d’une interview, il a notamment confié :
« Je voulais créer quelque chose de nouveau, et la Trance ne m’apportait plus l’inspiration qu’elle me donnait autrefois. J’aime l’émotion que dégage la Trance, mais j’avais besoin de me réinventer. »
2. Une nouvelle génération à conquérir
Dans les années 2000, la musique électronique a poursuivi sa diversification, donnant naissance à de nouvelles tendances. La House Music, notamment, a connu un renouveau spectaculaire avec l’Electro House et d’autres dérivés. Ces nouveaux sons, plus accessibles et grand public, ont séduit une jeune génération d’auditeurs moins familiers avec la Trance.
L’essor des festivals électroniques, en particulier aux États-Unis, a redéfini les attentes du public et propulsé ces nouveaux genres au sommet des charts et des programmations.
En 2014, Tiësto expliquait au micro de DJ Mag :
« Je pense que si j’étais resté un artiste Trance, je ne serais plus vraiment dans l’air du temps, même si je continuais à avoir mes concerts et mon public. Les anciens de la Trance ont toujours leurs fans, mais on a l’impression que plus personne ne s’y intéresse vraiment. Et c’est ça, la plus grande différence.
C’est génial d’être en contact avec les nouveaux jeunes talents de 16 ou 18 ans qui produisent de la House et qui me voient comme une sorte de parrain. Je crois que si j’étais resté dans la Trance, ils seraient tellement déconnectés de cette musique que je ne serais pas une grande source d’inspiration pour eux, et eux non plus pour moi. »
3. Une opportunité commerciale
La montée en puissance de l’EDM et des festivals géants a créé des opportunités sans précédent pour les DJs capables de s’adapter à ce marché en pleine explosion. Avec des cachets atteignant des sommets astronomiques et la possibilité de collaborer avec des artistes pop internationaux, Tiësto a su capitaliser sur cette dynamique pour étendre davantage son influence.
En se détachant de la Trance, il a fait le choix stratégique d’élargir son impact culturel et commercial, devenant l’un des premiers DJs à incarner l’explosion mondiale de l’EDM dans les années 2010. Ce virage lui a permis de conquérir les radios et le grand public grâce à des titres comme “The Business”, “Don’t Shy”, ou encore “Jackie Chan”. Ces morceaux, dont les clips cumulent des centaines de millions de vues sur YouTube, s’imposent aujourd’hui comme de véritables hits pop.
4. Une rivalité avec Armin van Buuren ?
Une autre explication, plus spéculative, touche à une potentielle rivalité avec Armin van Buuren. Alors que Tiësto dominait la scène au début des années 2000, Armin a progressivement gagné du terrain grâce à son radioshow “A State of Trance” et au succès de son label Armada Music.
Entre 2007 et 2012, Armin a été couronné meilleur DJ au classement DJ Mag à cinq reprises, devenant le nouveau porte-drapeau incontesté de la Trance. Cette reconnaissance s’est également illustrée à travers ses concerts “Armin Only”, qui ont atteint l’envergure des “Tiësto In Concert”.
Dans un contexte où la scène Trance semblait s’identifier de plus en plus à Armin, Tiësto a peut-être senti qu’il était temps de redéfinir son identité musicale. Ce repositionnement stratégique lui aurait permis de s’affranchir d’une rivalité directe et de prendre ses distances avec un genre désormais largement dominé par son compatriote.
Bien que cette théorie n’ait jamais été confirmée, elle pourrait toutefois éclairer la décision de Tiësto de tracer une route différente.
Le rêve d’un retour de Tiësto à la Trance
Dans les quinze années qui ont suivi cette transition musicale, de nombreux fans ont nourri l’espoir de voir Tiësto revenir à ses origines Trance, ne serait-ce que le temps d’un concert.
Cet espoir s’est ravivé en 2020 avec le lancement de son alias VER:WEST et la sortie du morceau “5 Seconds Before Sunrise”, une composition qui renouait avec les mélodies introspectives de ses débuts. Tiësto a toutefois précisé qu’il s’agissait de Melodic House, et non de Trance, ce qui a laissé perplexe une partie de ses anciens fans. Pourtant, beaucoup y ont vu une version ralentie et modernisée de la Trance, une manière subtile de renouer avec son passé musical.
En 2023, lors d’une interview accordée à Amazon Music, il a tout de même reconnu que la Trance connaît une résurgence, notamment à travers la Melodic Techno. Enthousiasmé par cette évolution, il a salué le travail d’artistes comme Mathame.
« C’est le son que je jouais dans les années 90, mais dans un nouveau format, ralenti de 140 à 122 BPM », a-t-il également confié à Pete Tong dans une autre interview.
Et si Tiësto s’autorise encore à jouer son intemporel “Adagio For Strings” dans sa version originale, et parfois des classiques comme “Push – Universal Nation”, il semble néanmoins peu enclin à revenir à la musique Trance.
Loin de regretter son choix, il se dit très heureux des changements qu’il a opérés dans sa vie et sa carrière.